François Derrien, professeur de finance à HEC Paris, publie un article qui fait écho à son étude concernant l’impact de la pyramide des âges, et plus précisément de l’âge moyen d’une société, sur le process d’innovation. Pour référence, l’article est disponible sur Forbes à https://www.forbes.fr/finance/limpact-de-la-demographie-sur-linnovation/, et l’étude complète de l’équipe (en anglais), à https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3076971.
Ce que révèle l’étude est à la fois très intéressant et très perturbant.
Ce qui apparait souvent comme l’élément le plus important permettant l’innovation, c’est la compétence. Sous le paravent de la compétence on peut mettre un certain nombre de choses : l’éducation, l’expérience, l’environnement culturel, l’intelligence collective .. La croyance dominante, en tout cas en France, est que le niveau d’éducation de la société fait sa capacité à innover.
Lorsque l’on tend un peu le paradigme, cela se traduit dans les entreprises par l’idée que les systèmes dit « legacy », ou à faible valeur ajoutée, peuvent être maintenus dans des pays où la main d’œuvre est moins chère et relativement jeune et avec un niveau de compétence technique suffisant. Alors que les besoins en innovation sont l’apanage des ressources fortement éduquées et expérimentées, ce qui sous-entend un âge moyen relativement élevé.
Cette croyance est aussi l’un des piliers de la mondialisation : Les pays riches délèguent la production de leurs biens et systèmes à basse valeur ajoutée vers les pays émergents, en contrepartie d’un coût de main d’œuvre suffisamment faible pour que la marge soit acceptable et puisse être réinvestie dans une R&D locale réalisée par des profils expérimentés. Ce fonctionnement a constitué, depuis une bonne quarantaine d’années, le moteur à deux temps de la croissance économique mondiale.
Mais l’étude de François Derrien démontre qu’en réalité le processus d’innovation est d’abord lié à l’âge de la population dans laquelle elle émerge. Plus la population est jeune, plus les facteurs de stimulation de l’innovation sont importants. Je ne l’ai pas vu dans l’étude, mais je pense que l’on peut aussi y corréler l’intelligence collective. Est-ce que l’on a une meilleure aptitude à faire émerger une intelligence collective quand on est jeune, et l’inverse est-il vrai ? A voir.
Pour autant, si l’on amène la compétence et l’expertise en plus de la jeunesse, nous pouvons en déduire que l’innovation de demain (et peut-être déjà en partie d’aujourd’hui), aura d’abord lieu dans les pays ou la population est globalement plus jeune. Hors qu’ont donc fait les pays riches fait depuis 40 ans ? Et bien ils ont transféré leur compétence, petit à petit, mais très surement, vers ces pays dits émergents. Sans doute en imaginant qu’ils garderaient en permanence le niveau de compétence requis pour leur assurer un temps d’avance, puisqu’ils sont supposément mieux formés !
Qu’est ce que cela implique pour l’avenir ? Et bien simplement un énorme effet d’aspiration de la richesse vers ces pays émergents. Du moins jusqu’à stabilisation de l’âge moyen de la population au niveau mondiale. Cet équilibre est, disons .. lointain. Ce qu’il risque rapidement de se produire au plus proche de nous est un déplacement durable de l’innovation dans les pays qui étaient hier considérés comme des réservoirs de main d’œuvre. Cela ne manquerait pas de nous relayer au rang de société d’intégration des services et non de société novatrice qui porte la création de richesse. Un joli thème de roman d’anticipation, mais en réalité nous y sommes probablement déjà.
Nous pouvons faire un parallèle intéressant avec la théorie du dégroupage des entreprises apportée par John Hagel et Marc Singer (https://hbr.org/1999/03/unbundling-the-corporation) . Ils y présentent une classification, et un éclatement, des activités des entreprises, avec (très grossièrement), celles qui se concentrent sur la connaissance client, celles qui produisent, et celles qui innovent. Et bien je pense que cette classification vaut pour les sociétés. L’activité de la France, et des pays riches en général, se concentre désormais sur la connaissance client (et donc de sa population), et intègre des systèmes conçus et produits ailleurs. Pour nous, la population, cela signifie que notre avenir devient directement dépendants des pays émergents ou émergés.
A l’échelle du citoyen, il y a je pense beaucoup de façons différentes de nous réapproprier notre destin : en relocalisant la production de ce que nous consommons et en nous concentrant sur l’essentiel. Mais cela me semble un autre sujet. A l’échelle des entreprises cela pose surtout dès maintenant la question de la stratégie d’externalisation. Est-il encore pertinent de concentrer son innovation localement et d’externaliser en offshore ses systèmes legacys ou secondaires ? Au regard du fait que nous ne pouvons rien faire pour rajeunir notre population, il me semble intéressant d’envisager de coconstruire rapidement des partenariats de R&D avec des pays ou la population est jeune, et désormais bien formée, au moins pour garder en main notre destin et réduire notre dépendance. (ce que le COVID nous a durement rappelé comme étant un élément essentiel de notre survie ! )